Des mains de femmes sur les parois des grottes
LA PARITÉ faisait loi dans les grottes préhistoriques.
Les dessins exécutés il y a plus de 10 000 ans sur les parois rocheuses n'étaient pas l'apanage des hommes, les femmes aussi ont pratiqué cet «art».
La découverte, petite révolution dans le domaine de la préhistoire, a été faite dans la grotte Gua Masri II à l'est de Bornéo (Indonésie). Jean-Michel Chazine, chercheur au CNRS, y étudie depuis plus de dix ans avec son équipe les peintures rupestres.
Dans cette région du monde, les grottes sont riches en représentations de mains dites négatives, c'est-à-dire réalisées par la méthode du pochoir en appliquant sa main contre la pierre puis en y crachotant un colorant naturel préalablement malaxé dans la bouche.
C'est précisément de ces empreintes de main que se sont servis les scientifiques pour identifier le sexe de leurs auteurs.
En 2004, deux préhistoriens américains avaient ouvert la voie en affirmant qu'il était possible de distinguer un homme d'une femme en mesurant la longueur des doigts sur les tracés. Deux ans plus tôt en effet, le biologiste John Manning avait montré, sur des milliers de personnes d'origines géographiques diverses, que la majorité des hommes avaient l'annulaire plus long que l'index, quand les femmes avaient ces deux doigts de la même taille. Jean-Michel Chazine saute le pas et demande à Arnaud Noury, informaticien et ex-préhistorien, de réaliser un logiciel spécialisé.
Dans la grotte indonésienne, le mur prend alors une tout autre dimension. Là où les préhistoriens ne voyaient que des mains d'homme, des mains de femme les côtoient désormais.
On soupçonnait déjà la présence de femmes dans les grottes réservées aux cérémonies. Des traces de pied d'aspect féminin retrouvées au sol et des empreintes de main particulièrement fines laissaient à penser qu'elles avaient pu y pénétrer.
Dans la grotte Cosquer près de Marseille, ce sont même des mains d'enfant, positives cette fois, qui ont été découvertes. Mais on sait maintenant que les femmes ont eu un rôle actif dans la réalisation des ornementations.
A Bornéo, les grottes peintes sont très difficiles d'accès et ne contiennent aucune trace d'occupation prolongée. Ce qui fait dire aux chercheurs qu'elles étaient uniquement consacrées aux cérémonies sacrées.
«Les femmes ont donc été initiées de la même façon que les hommes aux rites magiques, explique Jean Courtin, préhistorien spécialiste de la grotte Cosquer. Elles aussi pouvaient devenir chamanes, ce n'étaient pas de simples malades venues se faire soigner.»
Une nouvelle donnée que les préhistoriens du monde entier devront maintenant prendre en compte.
Ils devront notamment dire si les pratiques dans les autres «sanctuaires» préhistoriques étaient les mêmes qu'à Bornéo.
Dans la grotte Cosquer notamment, où l'on trouve à la fois des mains noires réalisées avec du charbon et rouges faites à l'ocre dans deux endroits différents, les chercheurs veulent vérifier s'il n'y avait pas un colorant réservé aux hommes et un autre aux femmes.
(Le Figaro Sciences)