Le pouvoir des plantes
Les sorciers et les magiciens ne tenaient pas seulement leur puissance de leurs relations avec les démons, mais aussi d'une connaissance parfaite des propriétés des plantes qui poussaient dans les prairies, les fourrés, les haies, les talus et les cimetières. L'habileté avec laquelle ces hommes et ces femmes utilisaient toutes les possibilités que leur offrait la nature ne leur était pas venue en un jour. Elle était le résultat de siècles et de siècles de tâtonnements et d'échecs.
La plupart des plantes entrant dans la pharmacopée démoniaque étaient à la fois des médicaments et des poisons. Seule une longue expérience permettait de les employer à coup sûr pour produire l'effet désiré. La verveine, par exemple, ne libérait ses éléments nocifs que lorsqu'elle était cueillie par des mains humaines. Aussi, pour neutraliser le poison, les sorciers qui pratiquaient la magie blanche attachaient la plante, encore en terre, à la patte d'un chien, et c'était l'animal qui l'arrachait. Pour ne pas toucher les feuilles avec les doigts avant qu'elles ne fussent détachées de la tige, les druides les coupaient avec de longs ciseaux de fer.
Le moment choisi pour la cueillette avait une importance capitale, car il marquait le début du rituel magique. L'opérateur devait prendre de nombreuses précautions avant de se lancer dans un processus inexorable qui, mal conduit, pouvait aboutir à un résultat inverse de celui que l'on escomptait.
Avant de ramasser leurs herbes, les mages mangeaient de l'ail, dont l'odeur était insupportable aux esprits mauvais, et s'enduisaient le corps d'huile. Ils s'approchaient de chaque plante en venant d'une direction bien déterminée. Les herboristes, eux, flattaient les plantes par des discours enjôleurs avant de les couper, afin d'attirer les principes actifs dans la partie qu'ils allaient amputer.
Les sorciers pratiquant la magie noire développaient les instincts pervers d'une plante en l'arrosant de crachats, porteurs de leur propre malfaisance. Quand ils jugaient que le végétal était prêt à servir leurs desseins criminels, ils l'arrachaient une nuit de pleine lune en un moment où les effluves maléfiques de l'astre blafard étaient particulièrement denses et pouvaient être amplifiés s'il en était besoin par les flammes grésillantes d'une torche résineuse plantée dans la main d'un cadavre. Souvent, après la récolte, les sorciers, bons ou méchants, répandaient du miel sur le sol pour apaiser la terre, mère nourricière de toutes les plantes.
Les vertus magiques des végétaux qu'ils ramassaient étaient connues, pour la plupart, depuis fort longtemps. Parfois elles avaient été découvertes par les animaux bien avant l'apparition de l'homme, comme celles du fenouil, par exemple, cette herbacée au goût anisé dont certains serpents se gavaient à l'époque de la mue pour hâter la formation de leur peau. Certes les humains en faisaient un autre usage, à la Saint-Jean notamment, pour protéger leurs maisons de l'intrusion des fantômes, des spectres, des revenants qui rôdaient partout cette nuit-là. Les gens avisés accrochaient un bouquet de fenouil au-dessus de leur porte et bouchaient le trou de la serrure avec les tiges pour éloigner les sorcières et empêcher l'intrusion des esprits indésirables.
Le romarin, lui aussi, était un puissant vecteur de mithridatisation contre les maux du corps et de l'esprit; de nombreuses amulettes en contenaient. Si grandes étaient ses vertus et sa pureté que seuls les justes pouvaient le cultiver. Un simple brin de ce petit arbuste aromatique au parfum de pin pouvait vous protéger contre les esprits mauvais, notamment la nuit lorsqu'ils tentaient de s'introduire dans les rêves pour les transformer en cauchemar. Lorsque vous craigniez que votre voisin, à table, ne fût un empoisonneur, il vous suffisait de manger avec une cuillère taillée dans un pied de romarin pour purifier la nourriture suspecte. Certaines fleurs vous protégeaient contre la méchanceté des sorcières. Les pâtres défendaient leurs moutons avec des pivoines, fleurs qui, selon les anciens Grecs, luisaient dans le noir et éloignaient ainsi les esprits. Les gardiens de vaches accrochaient des guirlandes de soucis aux cornes de leurs bêtes. Quant aux parents, ils pendaient des colliers de marguerites au cou de leurs enfants pour empêcher les fées de les voler dans leur berceauet de leur substituer d'autres bébés.
Les plantes n'avaient pas toutes des effets bénéfiques. Certaines, au contraire, renforçaient les maléfices. On prétendait que le persil ne se plaisait que dans les jardins des sorciers malfaisants ; même là, il était lent à sortir de terre car ses racines devaient descendre neuf fois jusqu'au monde des ténèbres avant de produire des pousses gonflées d'humeurs pernicieuses. La malignité du basilic, entre autres, était telle que les feuilles exhalaient des miasmes mortels. Souvent les magiciens utilisaient aussi la fougère; ce cryptogame, maudit par saint Patrick, n'avait pas de fleurs mais ses sporanges conféraient l'invisibilité à qui savait les utiliser.
Néanmoins, ces herbes n'avaient guère de pouvoir par elles-mêmes. Pour en tirer des effets magiques, il fallait en exacerber les principes en les mélangeant à d'autres ingrédients : du sang, des os, des peaux d'animaux par exemple, comme le mentionnent de nombreux comptes rendus de procès en sorcellerie. C'est ainsi qu'on a retrouvé dans le baluchon d'une sorcière des griffes d'ours, des oreilles de chat, des piquants de hérisson, des dents de taupe, des os de souris.
Mais les ingrédients les plus efficaces étaient incontestablement ceux que l'on prélevait sur les cadavres humains : sang, chair, cervelle, viscères divers. On appréciait surtout les dépouilles des enfants non encore baptisés, car ils portaient la souillure du péché originel, et celles des criminels qui avaient été pendus. La graisse d'assassin était particulièrement prisée. Une fois fondue, on en faisait des chandelles dont on se servait ensuite pour découvrir les trésors cachés.