Les Sataniques
En 1882, alors qu'il est au sommet de sa gloire parisienne, Rops regroupe 5 planches gravées sous l'intitulé 'Les Sataniques'. Il y allie l'érotisme au mal en mettant en scène un couple infernal formé par la femme et Satan. Dans ces gravures, le Diable nous est montré comme le Maître de l'empire charnel, de la luxure. En 1888, Rops écrira une phrase tirée de Saint-Augustin sur le dessin réalisé pour le frontispice de 'L'initiation sentimentale' de Joséphin Péladan : 'Diaboli virtus in lombis' (La vertu du Diable est dans les reins). Satan commande à son peuple d'hommes et de femmes qui vivent pour et par la femme.
Le mythe de la femme satanique, responsable de la chute de l'humanité n'est pas récent et, en cette fin du XIXe siècle, il hante à nouveau les esprits. Vers 1878, l'artiste a déjà le projet de multiplier des dessins érotiques et de les réunir dans un 'Album du Diable'. Projet qui ne sera pas réalisé mais qui montre bien le lien fondamental qui unit l'érotisme au mal. La femme, suppôt du Diable, devient le symbole de la perversité, l'image de la chair coupable. Elle est la complice de Satan qui, chez Rops, prend de multiples formes. Qu'il soit paysan ('Satan semant l'ivraie'), Idole ('L'idole') ou qu'il se substitue au Christ ('Le calvaire'), il prend un 'malin' plaisir à jouir de la faiblesse de la femme qui ne peut lui résister et à laquelle à leur tour les hommes ne pourront que succomber.
C'est cette dualité de la femme, à la fois victime et bourreau, que Rops représente à travers 'Les Sataniques'. Les femmes sont les intercesseurs entre le Démon et les mâles. Celles par qui, indirectement, la perversité possède les hommes. La femme est la servante du Diable et, maléficiée, elle contamine à son tour l'homme qui la touche.
Le thème de 'Satan semant l'ivraie' sera traité plusieurs fois par l'artiste. En 1881, il en réalise une héliogravure retouchée au vernis mou, destinée à être la première planche des 'Sataniques'. La gravure empreinte à la parabole évangélique l'image du Diable : '(...) l'ivraie ce sont les sujets du Mauvais, l'ennemi qui la sème, c'est le Diable (...)'. Dans cette planche, un Satan gigantesque domine Paris et pose un de ses pieds sur Notre-Dame. On distingue bien qu'il sème des femmes et Rops le confirme en accompagnant sa planche d'une légende :
'Terrible et gigantesque, vêtu comme un paysan, SATAN, le semeur biblique passe à grandes enjambées par dessus les contrées habitées par les hommes. En ce moment, sous un clair de lune blafard, il traverse Paris. Son pied droit se pose sur les tours de Notre-Dame. D'un geste puissant, il jette à travers les espaces les FEMMES qui remplissent son tablier flottant, graine funeste des crimes et des désespoirs humains. Et sous les larges bords de son chapeau breton, son regard étincelle d'une joie malfaisante'.
L'ivraie décrite dans la parabole, les gens mauvais, se voit donc limitée par l'artiste aux FEMMES qui deviennent les Rosières du Diable. D'où la formule de Rops : 'L'homme est possédé de la femme, la femme possédée du Diable'. Cette formule se trouve illustrée dans 'La femme au pantin', réalisée en 1877 : 'L'homme, pantin de la femme, la femme, pantin du Diable'. La femme est à la fois 'mercenaire des Ténèbres' mais elle est en même temps victime.
'L'enlèvement', deuxième planche des 'Sataniques', présente un enchevêtrement de deux corps tournoyant dans les airs. Rops commente cette image. Satan emporte la femme 'pour en faire son esclave, sa victime et sa complice. Etrangement empalée, sur le manche du balai magique que serre en ses griffes le noir Ravisseur. Elle pend sur son dos, anéantie, déjà toute entière au Maître'.
'L'idole', troisième planche des 'Sataniques', montre encore cet abandon de la femme. Entre deux phallus géants se dresse Satan représenté en Idole. Une femme l'enlace sans pudeur et implore son amour. La femme est irrémédiablement attirée par Satan, empereur du sexe.
Les deux dernières planches des 'Sataniques' montrent l'aboutissement de cette alliance inhumaine qui ne peut qu'échouer dans la mort. Dans 'Le Sacrifice', la femme n'est plus complice ou bourreau mais victime. Possédée par une jouissance désespérée, elle va jusqu'à s'immoler elle-même en offrant son sexe à la pénétration d'un phallus gigantesque dont l'entrée ne peut que la tuer.
Dans 'Le calvaire', Satan se substitue au Christ sur la croix. Sous celle-ci, la femme meurt doucement, étranglée par ses cheveux que Satan lui enroule autour du cou. Dépossédée de son être, elle se laisse mourir dans un dernier spasme. La femme nous apparaît alors comme un être irresponsable, incapable de lutter contre cette force maléfique.
La technique de la gravure permet à l'artiste d'accentuer encore la noirceur du sujet. La violence de l'image est doublée par l'aspect de dureté, par les morsures, par l'intensité des contrastes qu'entraîne le travail de la gravure. A l'inverse, dans ses oeuvres sur toile, c'est l'esprit de tranquillité qui prédomine le plus souvent, et le Diable y apparaît rarement.
Certains, comme Peladan ou Huysmans, ont voulu voir dans les scènes terribles des 'Sataniques' une ferveur catholique à montrer la Possession de la femme. Dans son analyse du satanisme, Monsieur Cuvelier nous dit : 'Rops ne croyait pas plus en Satan qu'il n'était possédé par lui. Ce satanisme lui permet tout au plus de briser certains tabous de la bourgeoisie'. Cette analyse nous semble plus probable et il nous est aisé d'imaginer Rops, à l'image de son 'Satan semant l'ivraie', en train de jouir de l'idée que ses gravures pourront choquer les bourgeois qu'il exècre. Le satanisme, dans l'esprit du temps, était un moyen pour Rops d'exprimer sa haine du bourgeois et de ses valeurs conventionnelles.
Ce thème découle aussi chez l'artiste d'une volonté de peindre la Modernité, de synthétiser son siècle. En septembre 1863, Rops écrivait :
'J'ai encore un autre entêtement : c'est celui de vouloir peindre des scènes et des types de ce XIXe siècle que je trouve très curieux et très intéressant, les femmes y sont aussi belles qu'à n'importe quelle époque, et les hommes sont toujours les mêmes. De plus, l'amour des jouissances brutales, les préoccupations d'argent, les intérêts mesquins, ont collé sur la plupart de nos contemporains un masque sinistre où 'l'instinct de perversité', dont parle Edgar Poe, se lit en lettres majuscules, (...)'.
'L'éros' chez Rops est donc un prétexte à peindre la Modernité. Selon une de ses conceptions sur la femme, plus celle-ci est perverse, plus elle est moderne. Pour la femme, la recherche du plaisir passe par le goût de la destruction, par la souffrance. Octave Mirbeau, auteur du 'Jardin des supplices', voit dans l'oeuvre de Rops l'amour-terreur : 'C'est l'amour avec son masque satanique qui vous terrasse, vous étreint de ses genoux de fer, vous écrase de ses ruts qui déchirent, vous ride le coeur, le cerveau, les moelles, et vous laisse brisés, anéantis, souillés'.
Contrairement aux eaux-fortes qui illustrent les 'Diaboliques' de Barbey d'Aurevilly, les 'Sataniques' ne relèvent pas d'un texte littéraire mais sont le pur fruit de l'imagination torturée du peintre. Rops parvient à mettre en image le vice enfoui en chaque être et, en cela, les 'Sataniques' touchent à l'universel. Avec ces planches, Rops atteint le point culminant du symbolisme érotique. Mais à la différence des peintres symbolistes de l'époque, l'artiste ne cherche pas, à travers le thème antique de la séductrice fatale, une échappatoire au monde qui l'entoure. Au contraire, comme nous l'avons dit plus haut, l'image de la femme diabolique lui sert à représenter le monde contemporain.
Danièle Doumont,
Historienne d'art,
Le mythe de la femme satanique, responsable de la chute de l'humanité n'est pas récent et, en cette fin du XIXe siècle, il hante à nouveau les esprits. Vers 1878, l'artiste a déjà le projet de multiplier des dessins érotiques et de les réunir dans un 'Album du Diable'. Projet qui ne sera pas réalisé mais qui montre bien le lien fondamental qui unit l'érotisme au mal. La femme, suppôt du Diable, devient le symbole de la perversité, l'image de la chair coupable. Elle est la complice de Satan qui, chez Rops, prend de multiples formes. Qu'il soit paysan ('Satan semant l'ivraie'), Idole ('L'idole') ou qu'il se substitue au Christ ('Le calvaire'), il prend un 'malin' plaisir à jouir de la faiblesse de la femme qui ne peut lui résister et à laquelle à leur tour les hommes ne pourront que succomber.
C'est cette dualité de la femme, à la fois victime et bourreau, que Rops représente à travers 'Les Sataniques'. Les femmes sont les intercesseurs entre le Démon et les mâles. Celles par qui, indirectement, la perversité possède les hommes. La femme est la servante du Diable et, maléficiée, elle contamine à son tour l'homme qui la touche.
Le thème de 'Satan semant l'ivraie' sera traité plusieurs fois par l'artiste. En 1881, il en réalise une héliogravure retouchée au vernis mou, destinée à être la première planche des 'Sataniques'. La gravure empreinte à la parabole évangélique l'image du Diable : '(...) l'ivraie ce sont les sujets du Mauvais, l'ennemi qui la sème, c'est le Diable (...)'. Dans cette planche, un Satan gigantesque domine Paris et pose un de ses pieds sur Notre-Dame. On distingue bien qu'il sème des femmes et Rops le confirme en accompagnant sa planche d'une légende :
'Terrible et gigantesque, vêtu comme un paysan, SATAN, le semeur biblique passe à grandes enjambées par dessus les contrées habitées par les hommes. En ce moment, sous un clair de lune blafard, il traverse Paris. Son pied droit se pose sur les tours de Notre-Dame. D'un geste puissant, il jette à travers les espaces les FEMMES qui remplissent son tablier flottant, graine funeste des crimes et des désespoirs humains. Et sous les larges bords de son chapeau breton, son regard étincelle d'une joie malfaisante'.
L'ivraie décrite dans la parabole, les gens mauvais, se voit donc limitée par l'artiste aux FEMMES qui deviennent les Rosières du Diable. D'où la formule de Rops : 'L'homme est possédé de la femme, la femme possédée du Diable'. Cette formule se trouve illustrée dans 'La femme au pantin', réalisée en 1877 : 'L'homme, pantin de la femme, la femme, pantin du Diable'. La femme est à la fois 'mercenaire des Ténèbres' mais elle est en même temps victime.
'L'enlèvement', deuxième planche des 'Sataniques', présente un enchevêtrement de deux corps tournoyant dans les airs. Rops commente cette image. Satan emporte la femme 'pour en faire son esclave, sa victime et sa complice. Etrangement empalée, sur le manche du balai magique que serre en ses griffes le noir Ravisseur. Elle pend sur son dos, anéantie, déjà toute entière au Maître'.
'L'idole', troisième planche des 'Sataniques', montre encore cet abandon de la femme. Entre deux phallus géants se dresse Satan représenté en Idole. Une femme l'enlace sans pudeur et implore son amour. La femme est irrémédiablement attirée par Satan, empereur du sexe.
Les deux dernières planches des 'Sataniques' montrent l'aboutissement de cette alliance inhumaine qui ne peut qu'échouer dans la mort. Dans 'Le Sacrifice', la femme n'est plus complice ou bourreau mais victime. Possédée par une jouissance désespérée, elle va jusqu'à s'immoler elle-même en offrant son sexe à la pénétration d'un phallus gigantesque dont l'entrée ne peut que la tuer.
Dans 'Le calvaire', Satan se substitue au Christ sur la croix. Sous celle-ci, la femme meurt doucement, étranglée par ses cheveux que Satan lui enroule autour du cou. Dépossédée de son être, elle se laisse mourir dans un dernier spasme. La femme nous apparaît alors comme un être irresponsable, incapable de lutter contre cette force maléfique.
La technique de la gravure permet à l'artiste d'accentuer encore la noirceur du sujet. La violence de l'image est doublée par l'aspect de dureté, par les morsures, par l'intensité des contrastes qu'entraîne le travail de la gravure. A l'inverse, dans ses oeuvres sur toile, c'est l'esprit de tranquillité qui prédomine le plus souvent, et le Diable y apparaît rarement.
Certains, comme Peladan ou Huysmans, ont voulu voir dans les scènes terribles des 'Sataniques' une ferveur catholique à montrer la Possession de la femme. Dans son analyse du satanisme, Monsieur Cuvelier nous dit : 'Rops ne croyait pas plus en Satan qu'il n'était possédé par lui. Ce satanisme lui permet tout au plus de briser certains tabous de la bourgeoisie'. Cette analyse nous semble plus probable et il nous est aisé d'imaginer Rops, à l'image de son 'Satan semant l'ivraie', en train de jouir de l'idée que ses gravures pourront choquer les bourgeois qu'il exècre. Le satanisme, dans l'esprit du temps, était un moyen pour Rops d'exprimer sa haine du bourgeois et de ses valeurs conventionnelles.
Ce thème découle aussi chez l'artiste d'une volonté de peindre la Modernité, de synthétiser son siècle. En septembre 1863, Rops écrivait :
'J'ai encore un autre entêtement : c'est celui de vouloir peindre des scènes et des types de ce XIXe siècle que je trouve très curieux et très intéressant, les femmes y sont aussi belles qu'à n'importe quelle époque, et les hommes sont toujours les mêmes. De plus, l'amour des jouissances brutales, les préoccupations d'argent, les intérêts mesquins, ont collé sur la plupart de nos contemporains un masque sinistre où 'l'instinct de perversité', dont parle Edgar Poe, se lit en lettres majuscules, (...)'.
'L'éros' chez Rops est donc un prétexte à peindre la Modernité. Selon une de ses conceptions sur la femme, plus celle-ci est perverse, plus elle est moderne. Pour la femme, la recherche du plaisir passe par le goût de la destruction, par la souffrance. Octave Mirbeau, auteur du 'Jardin des supplices', voit dans l'oeuvre de Rops l'amour-terreur : 'C'est l'amour avec son masque satanique qui vous terrasse, vous étreint de ses genoux de fer, vous écrase de ses ruts qui déchirent, vous ride le coeur, le cerveau, les moelles, et vous laisse brisés, anéantis, souillés'.
Contrairement aux eaux-fortes qui illustrent les 'Diaboliques' de Barbey d'Aurevilly, les 'Sataniques' ne relèvent pas d'un texte littéraire mais sont le pur fruit de l'imagination torturée du peintre. Rops parvient à mettre en image le vice enfoui en chaque être et, en cela, les 'Sataniques' touchent à l'universel. Avec ces planches, Rops atteint le point culminant du symbolisme érotique. Mais à la différence des peintres symbolistes de l'époque, l'artiste ne cherche pas, à travers le thème antique de la séductrice fatale, une échappatoire au monde qui l'entoure. Au contraire, comme nous l'avons dit plus haut, l'image de la femme diabolique lui sert à représenter le monde contemporain.
Danièle Doumont,
Historienne d'art,