Satan mène le bal à la cour de France

Il s'en passe de belles sous le règne des Valois ! A l'instigation de Catherine de Médicis, très portée sur la magie noire, on use de maléfices pour éliminer les adversaires politiques. Il paraît que ça marche...

Par Edouard Brasey, écrivain

A l'époque de la Renaissance, la pratique de la sorcellerie et de la magie noire est telle que la cour de France elle-même n'en est pas exempte. Le règne des Valois, notamment, est entaché de multiples cas d'envoûtements, dont la plupart sont perpétrés à l'instigation de Catherine de Médicis.

Née à Florence, celle-ci a été initiée dès son plus jeune âge à la magie et à l'art des poisons. Devenue veuve d'Henri II, elle continue à exercer le pouvoir durant la régence de ses deux fils, Charles IX et Henri III. On dit qu'elle porte sur l'estomac, en guise de protection, une peau d'enfant égorgé, semée de figures et de caractères cabalistiques, et entretient auprès d'elle une troupe d'astrologues, alchimistes, mages et sorciers de tout poil. Parmi eux, Cosme Ruggieri, fils du médecin de Laurent le Magnifique.

En 1570, redoutant l'influence du prince de Condé, de l'amiral de Coligny et de son frère d'Andelot sur Charles IX, Catherine de Médicis commande à Ruggieri un « envoûtement d'airain ». Pour mettre en oeuvre ce redoutable maléfice, le mage florentin fait fondre en grand secret par un artisan du Marais trois statues de bronze à l'effigie exacte des trois chefs huguenots. Ces statues sont ensuite percées de trous à divers endroits stratégiques, notamment les jointures et la poitrine, dans lesquels viennent se loger des vis en acier. Le mage n'a plus qu'à prononcer certaines paroles magiques, empruntées à un petit ouvrage plein de caractères hébraïques, tout en serrant très lentement les vis...

Quelques mois plus tard, Condé tombe de cheval à la bataille de Jarnac et est abattu par un gentilhomme de la garde royale. D'Andelot meurt dans les mêmes conditions à Montcontour le 3 octobre. Sur les corps des deux hommes, les médecins notent la présence d'étranges marques sur les articulations des bras, les cuisses et la poitrine... Quant à Coligny, il tombe gravement malade mais survit aux attaques occultes de Cosme Ruggieri. Ce n'est que pour mieux périr, trois ans plus tard, lors de la Saint-Barthélemy.

Mais Cosme Ruggieri joue double jeu. Bien que grassement rétribué par Catherine, qui met à sa disposition le château de Chaumont où il poursuit à grands frais la quête de l'or alchimique, le Florentin trempe dans le complot fomenté par deux amis intimes du duc d'Alençon, frère de Charles IX et prétendant au trône : Annibal Coconnas, un noble piémontais, et le comte de La Mole, amant de Marguerite de Navarre, fille de Catherine et future épouse d'Henri IV, surnommée familièrement la reine Margot.

Pour hâter la mort de Charles IX qui, à 24 ans a l'apparence d'un vieillard et crache des litres de sang, Ruggieri modèle une statuette de cire à l'effigie du roi, dans laquelle il plante un clou acéré au niveau du coeur. Mise au courant du complot, Catherine de Médicis fait écarteler à quatre chevaux La Mole et Coconnas, avant de faire clouer ce qui reste de leurs corps aux portes de Paris. Quant à Ruggieri, elle le fait cruellement torturer, puis l'exile à Marseille, antichambre des galères, avant de le gracier et le rappeler à elle au printemps de 1574 pour améliorer le sort du jeune Charles IX, toujours moribond.

Cosme Ruggieri propose alors à la reine d'organiser une séance de nécromancie, la « cérémonie de la tête qui parle ». Dans la nuit du 28 mai 1574, dans l'une des neuf tours du château de Vincennes, encore appelée aujourd'hui la tour du Diable, Ruggieri, accompagné d'un moine apostat, dresse un autel couvert d'un drap noir, éclairé par des chandelles noires, sur lequel est posé un calice d'ébène rempli de sang coagulé, ainsi qu'une hostie blanche et une hostie noire. Au-dessus de l'autel, l'effigie de la Mère des Ténèbres est couverte d'un triple voile noir. Accompagnée de deux intimes et de Charles IX, Catherine donne l'ordre de commencer la messe noire.

On fait alors entrer un enfant juif, jeune catéchumène qui s'apprête à recevoir le baptême. Le prêtre noir commence à dire la messe démoniaque, blasphème le Dieu des chrétiens et consacre les hosties à Satan. Mais à peine a-t-il donné l'hostie blanche à l'enfant en guise de communion que l'un de ses aides empoigne une épée et décapite le nouveau baptisé. Le moine se saisit de la tête et la pose sur l'hostie noire. C'est à ce moment précis que Charles IX doit se pencher vers la tête et l'interroger sur l'avenir. Le souverain murmure une question inintelligible aux personnes présentes. Après un long silence, les lèvres de la tête coupée s'agitent et exhalent dans un murmure les paroles suivantes : « J'y suis forcé... J'y suis forcé... » Que signifient ces paroles ? Nul ne le sait. Sauf peut-être le roi qui, de saisissement, s'évanouit. Lorsqu'il reprend conscience quelques minutes plus tard, grâce aux sels qu'on lui a fait humer, il hurle : « Qu'on éloigne cette chose de moi ! »

Deux jours plus tard, après une agonie atroce au cours de laquelle il vomit du sang et pousse des cris de terreur, le roi Charles IX s'éteint, le 30 mai 1574, âgé d'à peine 25 ans. Les médecins chargés de l'autopsie témoignent que son coeur était racorni, comme si on l'avait longuement exposé aux flammes...

Le frère de Charles IX, qui lui succède sous le nom d'Henri III, use à son tour de magie noire pour envoyer des sortilèges de mort à la puissante famille des Guises, coupable d'alimenter la Ligue. Les principaux chefs de la coalition meurent assassinés en d'étranges circonstances. Les Guises se défendent en conviant leurs familiers à la cathédrale Notre-Dame, afin de transpercer d'aiguilles des statuettes de cire représentant la famille royale. Henri III fait alors fabriquer des contre-charmes grâce à des grimoires de sorcellerie qu'il fait venir d'Espagne où ils circulent librement à la cour de Philippe II. Cela ne l'empêche d'être assassiné en 1589. L'époque baigne à ce point dans l'obsession de la sorcellerie et de la magie noire que l'on croit que la main du régicide, Jacques Clément, était dirigée par des larves formées magiquement à la suite de cérémonies d'envoûtement et de haine.

L'année même de la mort du roi, un pamphlet séditieux paraît sous le titre Les Sorcelleries de Henri de Valois et les Oblations qu'il faisait au Diable dans le Bois de Vincennes . On y lit : « Henri de Valois et d'Epernon, avec ses autres mignons, faisait quasi publiquement profession de sorcellerie, étant commune à la cour entre iceux et plusieurs personnes dévoyées de la foi et religion catholiques. [...] On a trouvé dernièrement, au Bois de Vincennes, deux satyres d'argent, de la hauteur de quatre pieds. Outre ces deux figures diaboliques, on a trouvé une peau d'enfant, laquelle avait été corroyée ; et sur icelle y avait aussi plusieurs mots de sorcellerie, et divers caractères. [...] Lorsque plusieurs, dans les années 1586 et 1587, avaient été condamnés à mort pour sorcellerie, il [Henri III] les faisait renvoyer absous. Il ne faut pas s'émerveiller si, ayant délaissé Dieu, Dieu ne l'ait aussi délaissé. »

Contrairement aux Valois, Henri IV ne croit pas à la sorcellerie, qu'il qualifie de « sottises de femmelettes ». Mais il se trouve malgré lui associé aux intrigues florentines ourdies par les Médicis. Or, en 1599, Gabrielle d'Estrées meurt prématurément alors que le roi allait l'épouser. Dix ans plus tard, celui-ci est assassiné. Conséquence d'un sortilège ? Cosme Ruggieri, encore lui, avoue avoir tenté de l'envoûter. Et il avait prédit l'assassinat du roi. De là à penser qu'il l'avait magiquement fomenté...



03/03/2006
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