Carmilla est l'anagramme de Mircalla, comtesse de Karnstein. Depuis des siècles, elle apparaît à intervalles réguliers sous divers noms qui sont tous des anagrammes de l'original, Millarca et Carmilla étant les plus fréquents. Les traits de la comtesse restent inchangés depuis sa mort. Elle surgit toujours sous les traits d'une jeune fille d'à peine 20 ans, à la remarquable beauté. Sa taille dépasse légèrement la moyenne. Elle est mince et merveilleusement gracieuse; ses gestes sont langoureux, et ses grands yeux, qui semblent ne jamais ciller, restent fixés longuement sur les choses. Son teint est resplendissant et ses traits délicats. Ses prunelles sont sombres, immenses et étonnamment brillantes. Quand à sa chevelure, lorsqu'elle roule défaite sur ses épaules, est superbe, longue et épaisse, soyeuse et parfumée, d'un brun chaud aux reflets mordorés.

Carmilla s'exprime d'une voix douce, presque chuchotante. Sa beauté, sa grâce, ses manières exquises et sa conversation la font inviter à tous les bals de la noblesse.

On sait peu de choses sur elle, car elle demeure extrêmement discrète sur ses origines, sa famille, sa mère, sa vie ses projets et son environnements. Elle se protège en prétextant que sa mère lui a fait promettre de ne rien révéler à qui que ce soit, bien qu'elle affirme, pour ne pas blesser ses amis, qu'elle leur dira tout le moment venu. En fait, on connaît d'elle trois choses: son nom est Carmilla, ou tout autre anagramme; sa famille est noble et très ancienne et enfin, elle vit quelque part à l'ouest. Carmilla apparaît toujours, la première fois, accompagnée de sa mère et se liant d'amitié avec une jeune fille de son âge, qui, généralement, vit seule avec son père dans quelque vieille demeure isolée. Les jeunes gens, et surtout les jeunes filles, se prennent d'amitié ou d'amour de façon impulsive, et il est attendrissant pour un père de voir sa propre fille trouver du plaisir, sinon des délices, en compagnie d'une aussi jeune et noble compagne.

Chacune des aventures de Carmilla se déroule selon le même scénarii: sa mère est appelée d'urgence pour une affaire de la plus haute importance et elle doit donc laisser sa fille chérie. Elle la confie donc à cette famille de rencontre qui promet de bien veiller sur sa douce progéniture jusqu'à son retour, dans quelques mois. Selon la comtesse, Carmilla ne peut absolument pas la suivre dans un voyage aussi harassant, car elle est de santé fragile et un peu nerveuse. Comme elle est très belle et sincèrement attachée à leur propre enfant, les pères consentent toujours avec joie à accueillir la jeune Carmilla, ne percevant que le bonheur et la gaieté qu'elle fait entrer ainsi dans leur cœur et leur morne existence.

Carmilla a des habitudes étranges, surtout pour des hôtes somme toute assez frustres. Par exemple, elle ne descend jamais de sa chambre avant midi, ne prenant alors qu'une tasse de chocolat, sans rien manger. Lorsqu'elle se promène dans la campagne, elle s'arrête rapidement, comme si elle était épuisée;elle s'en retourne alors au château ou bien elle s'assied sur un banc dans le jardin pour se reposer. La nuit, elle s'enferme à double tour car, dit-elle, elle a peur des voleurs depuis qu'un de ces malandrins s'est introduit une nuit dans sa chambre, il y a de cela quelques années, et qu'elle a cru mourir de terreur. Pourtant, une rumeur commence bientôt à circuler: on l'aurait aperçue rôdant à l'orée de la forêt en pleine nuit, telle une âme errante. Elle éprouve de la répugnance envers tous les enterrements. Dès qu'elle aperçoit un cortège funèbre, elle est littéralement prise d'un accès de rage, son teint devient livide, son corps se met à trembler, ses poings se serrent... Mais cet état ne dure qu'un bref instant: elle reprend vite ses esprits, comme si rien ne s'était produit.

Carmilla est une créature extrêmement sensible, d'une grande sensualité; elle tombe amoureuse véritablement et désespérément, amoureuse de sa jeune compagne et n'aspire plus, alors, à rien d'autre qu'à mourir avec elle. Elle l'embrasse sur les joues ou soupire dans son cou; elle garde longuement la main de son amie contre son coeur...

Dès que Carmilla s'installe dans une région, on commence à déplorer un certain nombre de décès, médicalement inexplicables: des femmes trépassent de façon inattendue après une courte maladie de 24 heures. Dans le même temps, la jeune amie de Carmilla, la victime tant aimée et tant chérie, reçoit les visites nocturnes d'une " chose " qui a l'apparence d'un énorme chat aux allures sinistres déambulant sans cesse, comme un fauve en cage. Plus la pièce s'assombrit, plus la " bête " s'approche, pour finalement sauter sur le lit: la victime ressent alors une douleur au niveau de la poitrine, comme si deux aiguilles s'étaient enfoncées dans ses chairs. Carmilla possède deux facultés: elle peut se transformer en chat et se rendre invisible.

La véritable histoire de Mircalla, comtesse de Karnstein est triste et singulière. De son vivant, au cours de l'année 1698, elle fut mordue par un vampire et devint vampire elle-même. Un ancêtre du baron Vordenburg, l'homme qui parvint à la détruire quelques siècles plus tard, l'aimait à la folie, bien qu'il la soupçonnât de vampirisme. Il vivait dans la terreur de voir un jour les restes de son grand amour profanés par des rituels posthumes bien connus et censés exterminer les vampires. Le baron avait laissé un curieux document, dans lequel il s'appuyait sur d'anciens livres d'occultisme pour démontrer que le vampire, une fois " tué " était rejeté vers une existence bien plus horrible encore. Souhaitant épargner un pareil sort à sa bien-aimée, il se rendit au château des Karnstein et prétendit emporter la dépouille de Mircalla: en réalité, il changea seulement l'emplacement de la sépulture, creusant la nouvelle tombe sous des fondaisons inaccessibles. Au moment de mourir, il se rendit compte qu'il avait rédigé un journal révélant tous les détails de cette opération et pouvant guider d'éventuels chasseurs de vampires vers l'endroit secret où reposait Carmilla. Ce journal contenait aussi une confession de la supercherie qu'il avait mise en place.

Le village attenant au château des Karnstein fut abandonné après la mort de la comtesse, et les descendants des domestiques qui la servirent crurent que la comtesse avait été bel et bien trouvée, et que son appartenance au monde effroyable des vampires ayant été prouvée, elle avait finalement été détruite. Mais il n'en était rien, et la belle comtesse continuait à égorger les femmes par centaines, jusqu'au moment où l'on découvrit l'emplacement de son tombeau. On lui perça le coeur, et ses restes, réduits en cendres, furent jetés dans la rivière.

On se sait toujours pas, en revanche qui est cette dame distinguée qui se présentait comme la mère de Carmilla. Ni où elle se trouve en ce moment