L'aveugle de Lord Ruthven

Un désert, juste un désert... Un désert sans fin, où toute vie était condamnée à disparaître instantanément dès son apparition... Un désert de sable qui, sous une chaleur extrême, s'était vitrifié, et qui possédait des paysages entiers constitués de miroirs naturels reflétant sans fin un soleil éternel...

Un paysage post-apocalyptique, sans traces de corruption humaine, où l'ordre règnerait pour l'éternité... Tel était le paysage de mon rêve... Et moi, déambulant sans but précis, tournant la tête vers un ciel sans nuage, sans nuance, sans rien... Moi, allant toujours tout droit, cherchant le cimetière où mes soi-disant paires sont allées mourir pour y finir ma vie, comme une sorte d'éléphant...

Tel était le décor de mon rêve, tel était le personnage de mon rêve, tel était mon rêve... Etrange chose que d'imaginer un paysage pareil... Je n'ai jamais vu de désert pareil... Et je n'en verrais jamais de ma vie : je me suis crevé les yeux... Vous pourriez croire, à la lecture de cette dernière phrase, que j'ai tué mon père, que j'ai pratiqué allègrement la consanguinité et que pour cela, que pour expier cette série d'actes atroces, je me suis enfoncé une épingle ou un objet pointu dans les orbites et qu'en suite, je suis partit, dans cet état, m'exiler d'une ville qui n'était plus faite pour moi...

Vous vous trompez de personnage... Moi, j'ai trouvé qu'il n'y avait plus rien à voir, que la réalité n'était plus à la hauteur de mes aspirations... Mais l'a-t-elle déjà été ? Je l'ai peut-être cru, à un moment ou à un autre, mais en tout cas, depuis que je suis plongé dans l'obscurité, j'ai eu le temps d'oublier ces instants de bonheur ou de naïveté. Je ne suis pas Oedipe mais je ne suis pas Odin non plus... Je ne suis pas devenu aveugle pour avoir la sagesse universelle mais juste pour fuir...

Fuir un monde où je n'avais plus ma place, où je n'avais plus de place, c'était ça, mon vrai but... Plus d'une fois j'ai été déçu... Plus d'une fois j'ai oublié les raisons pour lesquelles j'ai été déçu... Les raisons, les causes, elles importent peu... Seul compte l'effet qu'elles ont, le résultat qu'elles engendrent... J'ai été déçu, trahi, volé, victime du mensonge, le chaos humain m'a pris pour cible plus d'une fois, mais maintenant, j'ai tout oublié, j'ai tout pardonné...

Comment ne pas pardonner la nature ? Ou plutôt comment faire quoi que ce soit à la nature ? Elle est comme ça, inconsciente de sa cruauté et donc impardonnable mais par la même occasion, elle ne peut-être jugée... La seule chose que l'on puisse dire d'elle, c'est qu'elle est et c'est tout... Et l'humain, quoi que l'on en dise, est-on ne peut plus naturel... Ainsi, j'ai cessé de lui pardonner, de le juger... Mais c'est pas pour cela qu'il m'intéressait... Je n'ai jamais été vraiment en complète extase devant les créations de la nature, les fleurs, les couchers de soleil, les animaux. Il y avait, chez moi, admiration que pour les choses créées consciemment...

Et l'homme ne faisait pas partie de la liste... J'ai donc cessé de m'y intéressé... Mais il était partout, omniprésent... Ou que j'aille, je voyais cet être imparfait, vulgaire, irrégulier, dévorant ses semblables... J'ai cru qu'en m'enfermant chez moi, j'aurai pût trouver la solution... Jusqu'à ce que je voie cet être repoussant dans un miroir... Je l'ai brisé de mes poings, croyant être délivré de cette chose abjecte... Mais le sang qui coulait de mes mains forma peu à peu une petite flaque... Je me penchais pour la nettoyer, d'un coup de chiffon... Mais mon dégoût fut sans fin lorsque je vis la même chose que dans le miroir... Il était là, me pourchassant...

Où que j'aille, où que je regarde, je voyais "ça"... L'homme était partout, laid, avec ses yeux sournois... A chaque fois que je voyais un objet de verre ou de métal, des objets nécessaires pour la survie de l'être moderne civilisé, je le voyais, me faisant face, m'espionnant, à l'affût de la moindre faute que j'aurais pût commettre, afin de se moquer de moi...

Un jour, alors que je regardais par une fenêtre, il m'apparût, irréel, comme transparent mais bel et bien présent... Mon enfer, c'était lui et il me traquait. Des larmes commencèrent à rouler sur mes joues... Je pleurais... Ca, je ne pourrais jamais l'oublier, c'était la dernière fois que des larmes sortirent de mes yeux... Mais l'homme en face de moi riait... Je voyais ses traits se tordre, sa bouche cruelle me montrant ses dents dans un sourire de carnassier, ses yeux se plisser... Sans que je m'en aperçoive, mon poing le traversa, le faisant voler en éclat, l'arrêtant dans son rire... Mais sur le rebord, sur ces débris ensanglantés, il était là...

Sur chaque morceau, je le voyais... Des dizaines de "lui" se trouvaient là... J'en pris un... Et tout en riant, tout en sentant le sang qui coulait sur mon visage, qui entrait dans ma bouche, qui se répandait sur mon palais, j'enfonçais lentement ce "lui" dans mes yeux... J'entendais son cri de rage, de souffrance... Il criait, car plus jamais il ne pourrait me torturer... Ce cri m'était délicieux... Le goût du sang, liquide animal par excellence, m'était délicieux... Depuis, l'homme n'existe plus pour moi, je l'ai oublié... La nature n'existe plus, elle aussi... Elle aussi, je l'ai oublié... Maintenant, je suis plongé dans l'obscurité, une obscurité parfaite... Une obscurité sans fin, où toute vie serait condamnée à disparaître instantanément dès son apparition... Une obscurité sans traces de corruption humaine, où l'ordre règnerait pour l'éternité... Tel est le paysage de ma vie...

 



17/04/2006
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 44 autres membres