Un personnage éternel cette marquise de Brinvilliers, cupide, vénale, donc... empoisonneuse.
«Enfin, c'est fait, la Brinvilliers est en l'air; son pauvre petit corps a été jeté dans un fort grand feu et ses cendres jetées au vent; de sorte que nous la respirons et, par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonneuse dont nous serons tout étonnés.» L'exquise Madame de Sévigné savait en peu de mots dire l'essentiel d'une affaire qui venait de se conclure sur la place de Grève en juillet 1676. La marquise de Brinvilliers avait expié les meurtres de son père et de ses deux frères, sans compter la tentative manquée contre sa sœur. Depuis l'exécution sur la roue d'un de ses complices, un domestique chargé de porter les breuvages de sa façon aux victimes désignées et qui, entre deux séances de torture, l'avait accusée, elle se savait en sursis, errant entre l'Angleterre et les Pays-Bas, de couvent en couvent, pourchassée par les agents de M. de La Reynie. Son procès et les huit coquemars d'eau ingurgités pour prix de ses aveux complets pendant la question ordinaire et extraordinaire tirèrent au clair les raisons coupables de cette serial killer du Grand Siècle, redoutable mante religieuse perdue par son appétit des hommes et de l'argent.
Marie-Madeleine - comme la pécheresse de l'Evangile - avait une âme damnée en la personne de Sainte-Croix, son amant, alchimiste très versé dans l'art des poisons et des dévoiements d'héritages. La marquise, en mal de se refaire une santé financière détériorée, ne trouva rien de mieux que de liquider ceux qui la précédaient dans l'ordre de succession. Mais il n'est jamais de crime parfait, surtout quand il a tendance à se répéter. Et puis, mieux vaut, un soir de vague à l'âme, fût-on en proie à la repentance, ne pas laisser de traces écrites de ses méfaits, ni se griser de confidences en présence d'un honnête homme. La Brinvilliers se retrouva acculée, la fin était proche, il ne restait plus à cette mère de deux religieuses qu'à mourir dignement sur l'échafaud, en paix avec sa conscience, ce qu'elle fit.
Mais Madame de Sévigné a raison et Jeanine Huas y fait référence, peut-être un peu vite: après la crémation du corps décapité de l'empoisonneuse, subsistaient dans l'air comme des particules homicides qui allaient s'emparer des esprits. L'affaire des Poisons survient dans la foulée, dans laquelle du beau monde va tremper. La Brinvilliers n'a fait que préparer le terrain, en somme. L'arsenic s'invite bientôt à la table du roi et c'est tout Versailles qui tremble.