Une spirite au XVIIIe siècle : la marquise de La Croix
Vers la fin du XVIIIe siècle, l'attention de toute personne douée d'un peu de sens politique et social était surtout en France concentrée sur la désorganisation graduelle de l'État et de la société. Pour la majorité de la population, la dynastie avait perdu le respect, l'Église son autorité, le Gouvernement son pouvoir. Les finances se trouvaient dans une condition de confusion déplorable ; la situation économique générale était mauvaise. Pour ceux qui se rendaient compte exactement de la signification des événements du jour, le présent était plein de doutes et d'appréhension, de crainte et d'angoisse même pour l'avenir. Ceux qui avaient le nez fin, flairaient déjà d'avance l'odeur du sang que la Révolution ferait couler à flots.
Au milieu de ces gens avisés, il vivait un petit nombre d'hommes, animés d'une vraie passion spirituelle, qui point inquiétés ni dérangés par les signes menaçants de la tempête qui s'approchait, se tendaient assidûment vers des horizons inaccessibles et des idéals surhumains.
Tout ce qui sentait le « surnaturel » ou le merveilleux, inspirait confiance à ces groupes qui aspiraient vers des surréalités spirituelles. Tour à tour, ou tous ensemble, satisfirent ce désir du miraculeux : le magnétisme animal de Mesmer, la clairvoyance somnambulique de Puységur, les guérisons étourdissantes et la franc-maçonnerie égyptienne de Cagliostro, le mélange curieux de profondeur mystique et de réalisme rationaliste de Saint-Germain, les expériences de Swedenborg, la théurgie de Martines de Pasqually, les enseignements subtils de la philosophie ésotérique de Louis-Claude de Saint-Martin... Ce qu'on appelle plus tard le médiumnisme ou spiritisme n'existait pas encore. On ne trouve mentionnées nulle part des séances spirites à phénomènes physiques. Pourtant, en ce temps-là, il a vécu une personne qui, si elle vivait aujourd'hui, serait rangée sans aucun doute parmi les spirites convaincus.
Geneviève de Jarente, veuve du marquis de La Croix, qui avait été lieutenant-général en Espagne, était une femme très disposée par sa nature aux pratiques et manifestations « psychiques ». Cette aptitude paraît s'être développée surtout après qu'en 1775, elle fut venue en contact avec le groupe de mystiques et théurgiques élus coëns lyonnais : disciples, sectateurs, adeptes de Martines de Pasqually. Elle s'était sentie attirée vers eux et nommément vers leur chef Jean-Baptiste Willermoz et sa sœur Mme Provensal. En outre, la lecture du livre Des erreurs et de la vérité avait fait sur elle une impression très profonde.